19.

Le quartier de South Océan Boulevard, dans le plus pur style méditerranéen des années trente, consistait en un ensemble de luxueuses propriétés dans les tons bleu et rose pastel qui s’étendait sur six pâtés de maisons. Carroll eut le sentiment que tout et tout le monde était plongé dans un profond sommeil, autour de lui. À huit heures vingt, les gens dormaient encore ; les patios dallés dormaient, les courts en terre battue du Bath and Tennis Club dormaient ; les pelouses des terrains de golf, les cabines de plage à rayures multicolores et les piscines – tout dormait, comme dans l’attente du Prince charmant.

Ils longeaient la mer bleu-vert miroitante et Sommers ne cessait de parler d’une voix monocorde :

— À South Océan, les transactions immobilières ne sont pas exactement effectuées par Century 21. À vrai dire, la plupart des ventes sont traitées par Sotheby’s, la grosse boîte d’antiquaires. Les propriétaires de Palm Beach prennent leurs baraques pour de précieuses œuvres d’art.

— Ça me rappelle mon quartier, à New York, ironisa Carroll.

Sur la banquette arrière, pointant un long bras bronzé entre Carroll et Sommers, l’agent Sitts prit soudain la parole :

— Ce sont nos gars, là-bas devant, Clark.

Ils virent, regroupées à un croisement, six berlines banalisées bleu et vert.

Les véhicules stationnaient au vu et au su de tous. Plusieurs agents fédéraux vérifiaient des fusils à pompe et des Magnum en pleine rue.

— Ça la fout mal pour le prestige du quartier, grommela Carroll. J’espère que Sotheby’s ne fait pas visiter de maisons ce matin.

Les sept voitures se mirent lentement à remonter South Océan Boulevard en file indienne. Carroll examinait les environs. Toutes les maisons étaient en retrait par rapport à la rue, dont elles étaient séparées par des pelouses impeccablement tondues et d’un vert si vif qu’elles paraissaient avoir été bombées par un peintre monochrome.

Un livreur de journaux du Miami Herald les croisa, conduisant une mobylette poussive du même bleu improbable que le ciel. Le jeune homme freina et se gratta la tête en considérant le défilé de voitures.

L’un des hommes du FBI lui fit signe de poursuivre sa route.

— C’est là. Le numéro 640, annonça finalement Sommers. C’est ici que vit notre ami Diego Alvarez.

Carroll vérifia la présence de son Magnum chargé dans son holster. Son estomac lui jouait des siennes et les amphétamines mettaient son système nerveux à feu et à sang.

Les sept véhicules quittèrent South Palm et, tournant les unes derrière les autres dans une impressionnante rue transversale, vinrent se garer tour à tour devant deux propriétés adjacentes de style espagnol.

Des portières s’ouvrirent et se refermèrent, très doucement.

Carroll emboîta le pas à une douzaine d’agents fédéraux en costume gris. Ils prirent au trot la direction du domicile d’Alvarez.

— Rappelez-vous ce que je vous ai dit à l’aéroport, monsieur Carroll. C’est moi qui donne les ordres. J’espère que la capture de ce type vous permettra d’obtenir ce que vous cherchez, mais n’oubliez pas qui est aux commandes. On est bien d’accord ?

— Je n’ai pas oublié.

Le soleil du matin se reflétait avec un éclat dur sur les pistolets et les fusils. Carroll entendit des bruits de culasse qu’on actionnait. Les hommes du FBI se déployèrent à la manière d’une troupe de danseurs, lui évoquant de jeunes athlètes professionnels.

La scène était pleine de paradoxes visuels.

Carroll vit des mouettes placides s’élever de la mer et venir se poster en planant au-dessus de leurs têtes, attirées, semblait-il, par ce qui se tramait chez les Alvarez. Au moment où il commençait à s’imaginer en mouette rieuse, il décida qu’il était temps de se ressaisir.

Le vent qui soufflait de la mer était chaud mais agréable. Il charriait une odeur curieuse, mélange de poisson salé et de fleurs d’oranger. Le soleil était déjà aveuglant.

— Diego s’est payé une jolie petite maison. Sotheby’s l’évaluerait dans les trois millions, trois millions cinq. Quand je donnerai le signal, mes hommes investiront chaque aile de la villa.

Carroll garda le silence. C’étaient les hommes de Sommers. C’était la petite planète de Sommers, qui en était le souverain suprême. Carroll observa les types du FBI pendant un moment puis il sortit son revolver. Il leva l’impressionnant canon noir de l’arme vers le ciel – me mesure de sécurité pour les humains, pas pour les mouettes.

Au moment où il s’agenouillait en position de tireur embusqué, la lourde porte d’entrée en bois de la maison d’Alvarez s’ouvrit avec fracas et alla heurter le mur de la façade en stuc rose.

— Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? maugréa Clark Sommers.

Vendredi Noir
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